Un instant focus sur Béesau

Talentueux trompettiste et producteur de rap, le jeune Béesau se démarque de tout style musical avec son jazz à la croisée de l’électro, du hip hop et de la trap. Il a conquis le label Universal et a été propulsé sur la scène de grands artistes. En juillet, l’artiste projette de dévoiler un nouvel opus…

Comment t’est venue cette passion pour la musique ? J’ai cru entendre dire que ta grand-tante Ginette Garcin a fait de la musique et du théâtre son métier… t’aurait-elle influencé ?

Alors non, pas au début. J’ai commencé la musique à sept ans, par le biais de ma mère. Je rentrais en CE1. En CP, j’étais dans une école primaire normale. Puis au tennis, ma mère part discuter avec une parent d’élève qui lui dit que son fils était dans une école qui lui permettait d’aller au Conservatoire. L’année d’après, ma mère m’a inscrit là-bas et je suis rentré en « Classe CHAM » (« Classe Horaires Aménagés Musique »), et deux après-midi par semaine, on allait au Conservatoire. À ce moment-là, je n’avais que sept ans donc : je le fais ! Au début, toutes les semaines pendant trois-quatre mois, on essayait des instruments pour savoir ce qu’on voulait faire. J’ai essayé plusieurs choses et au final, je suis tombé sur la trompette.

D’accord. Et pourquoi la trompette, justement, est-ce que par exemple Miles Davis t’aurait inspiré ? Pourquoi cet instrument de prédilection ? Est-ce que c’est parce que ça te convenait mieux d’un point de vue sonore… ?

Eh bien à cet âge-là en fait, au début je voulais faire de la batterie, et je suis rentré dans le cours de batterie (un cours avec deux élèves). J’y vois les élèves qui se font engueuler mais… sévèrement par le prof ! Et je me suis dit : « Ah ok, je veux pas faire ça ! » (rires). J’ai essayé plusieurs trucs : le violon, ça m’intéressait, et au final je tombe sur la trompette et je trouvais ça marrant. À la fin du cours, le prof nous laissait la petite embouchure pendant la semaine (le petit embout que tu mets au bout pour souffler dedans). J’aimais bien, c’était doré, ça me plaisait, et puis je pouvais faire du bruit et ça emmerdait mes parents, donc j’étais très content de moi ! (rires) Donc c’est pas du tout une question d’affinité musicale puisqu’à cet âge-là, je savais même pas ce que j’écoutais comme musique, quoi. C’est parce que ça m’amusait beaucoup, et que l’instrument brillait et il était doré, donc voilà, ça m’a un peu tapé dans l’œil… (rires)

Et du coup, tu as fait classe CHAM : est-ce que tu as poursuivi cette formation musicale durant tes études ? Enfin, est-ce que ça t’as toujours suivi ?

Alors j’ai fait ça de mes sept à quatorze ans. Pendant toute la primaire et tout le collège, j’étais en classe CHAM. Puis en troisième, je me suis fait renvoyer du Conservatoire, parce que j’étais pas… moi, je voulais faire du jazz, parce que je voulais apprendre le jazz, parce que le classique et ses méthodes, ça ne me plaisait pas trop. J’avais du mal à rentrer dans le moule, en fait. Le cadre et la rigueur qu’on a au Conservatoire et qu’on te demande, ça… par exemple quand on avait quatre heures de solfège d’affilée, moi c’est… (soupir) Je trouvais ça un peu long, et je me demandais quand est-ce qu’on touchait l’instrument, quoi ! Au final, je me suis un peu détaché du Conservatoire, de la trompette, de tout ça… et à quatorze ans, je me suis fait virer du Conservatoire, ouais. Donc j’ai fait huit ans de Conservatoire et après : terminé !

D’accord, donc j’imagine que tu as un parcours d’études qui est en dehors de la musique. Qu’est-ce qui t’a ramené, justement, à cette formation ?

Alors pas du tout : j’ai toujours fait de la musique ! En fait, à quatorze ans, quand je me suis fait renvoyer du Conservatoire. À ce moment-là : j’arrête la trompette totalement. À l’époque, je faisais de la basse, et du coup j’ai appris le funk. Le jazz, je n’en faisais pas en basse, mais par contre j’ai appris tous les codes de funk et je jouais dans des groupes de funk à ce moment-là, c’était assez cool. Pendant cette même période, je me suis acheté un ordinateur et une MPC, et j’ai commencé à faire des prods pour des rappeurs à La Rochelle. Ça a duré quatre ans. C’est pendant cette période que j’ai commencé à découvrir le jazz, vraiment. C’est-à-dire que tu me parlais de Miles Davis au début, si c’était une inspiration : je me souviens que vers onze-douze ans, on m’avait offert un CD de lui et j’y comprenais rien du tout ! Je me disais : « Ça me fait chier, je vais jamais écouter ce truc, c’est nul ! ». C’est en faisant des instrus de hip hop que je me suis mis à écouter du jazz parce que, comme faisaient les new-yorkais à l’époque, ils samplaient des morceaux de jazz et des morceaux de funk. Et en fait, moi j’allais écouter ce qu’ils avaient samplé, et du coup c’est comme ça que j’ai commencé à découvrir tout cet univers. À dix-huit ans, à l’année de mon Bac, j’ai ressorti ma trompette de sous mon lit, et j’ai commencé à en refaire un petit peu… c’était suite à la découverte d’un album de jazz qui s’appelle Earfood (un album de Roy Hargrove) : c’est vraiment jazz pur, acoustique. Ça m’a transcendé, et du coup j’ai dit à mes parents que je voulais refaire de la trompette et faire de la musique ma vie. À la base, je savais que je voulais faire de la musique, mais je pensais pas refaire de la trompette !

Tu as toujours été en solo ou est-ce qu’à un moment donné, il y a eu un quintet pour t’accompagner ?

En fait, j’ai monté mon premier groupe sous mon nom. Ce fameux quintet…  c’était en 2014 ! Tout simplement, si tu veux, moi je suis de l’Ile de Ré. Tous les étés, il y a un festival de jazz qui s’appelle Jazz au Phare qui est à trois kilomètres de mon village. En fait, avec des amis, on y allait tout le temps, parce que moi j’allais voir les concerts de jazz et personne me suivait. Après, il y avait des afters électro pour faire la teuf, et du coup tous mes potes arrivaient et on passait cinq soirs de l’été là-bas. C’était assez dingue ! Une année, deux de mes meilleurs amis m’envoient un message sur Facebook comme quoi il y avait un concours jeunes talents au Phare, et que je pouvais jouer l’année d’après dans le festival,  si je voulais. À ce moment-là, je me dis : « Ah ok, marrant, mais… j’ai pas de groupe, j’ai pas écrit de morceaux… ». J’étais en train d’écrire mon tout premier morceau de jazz. Du coup, je demande à des potes qui étaient avec moi à l’école de Didier Lockwood et à des potes qui étaient déjà venus chez moi sur l’Ile de Ré si ça leur disait de faire ce tremplin, qu’on monte le groupe et puis que j’écrive des morceaux et puis… voilà ! Au final, on l’a fait, on a remporté le tremplin, et c’est comme ça que c’est parti, quoi !

D’accord… et petit à petit, ce groupe s’est transformé en solo il existe toujours ? Parce que t’es quand même bien mis en avant dans tes clips, par exemple !

Bah nan, en fait ce groupe s’est effacé petit à petit… si tu veux, je remporte ce tremplin, et au final ça fait un petit peu de bruit ! Ce qu’on fait, le jazz qu’on propose et que j’ai écrit, c’est à la frontière un peu pop, un peu hip hop… c’est pas du jazz conventionnel. À ce moment-là, ça a fait son petit bruit parce que c’était du jazz plus abordable pour des personnes qui ne sont pas pro-jazz. On a commencé à pas mal tourner, j’ai fait Jazz à Vienne avec ça, par exemple, et pleins de clubs à Paris… pas mal de petits trucs et des festivals dans les régions, vers chez moi (en Charentes-Maritimes, etc.). Un jour,  je rencontre une attachée de presse dans un festival qui m’a dit qu’elle aimait beaucoup ce que je faisais, et elle voulait en faire quelque chose. Je reviens juste un petit peu en arrière : à ce moment-là je rencontre aussi Laurent Balandras, qui est un éditeur de musique. On avait enregistré un petit EP de cinq titres qui s’appelle What’s Your Smile Makes Me Feel. J’avais ce CD, je ne savais pas quoi en faire et je rencontre ce mec aussi qui me dit qu’il aimait bien ce que je faisais et qui me propose qu’on bosse ensemble. Du coup, avec ces deux personnes, on a bossé deux ans ensemble, à essayer de promouvoir les choses et d’avancer pour que je me fasse signer quelque part. Petit à petit, je voulais partir de plus en plus vers l’électro et revenir à la production urbaine et à des trucs électro… donc j’ai enregistré un album qui n’est jamais sorti, en 2018. Il y a un son qui est sorti, qui s’appelle Aliens Believe in Us, et en fait il y a neuf autres titres comme ça qui ne sont jamais sorti, parce qu’on voulait bien bosser les choses et que ça se fasse écouter. À ce moment-là, on est cinq, mais j’enlève le truc du « Rémy Béesau Quintet » pour laisser « Béesau » parce que ça faisait trop jazz de mettre « quintet ». On avait enregistré un peu différemment des groupes de jazz, c’est-à-dire que j’avais fait appel à un pote à moi qui était producteur, réalisateur et ingé son, et en fait on a tout enregistré, mais on faisait quasiment que du piste par piste. On commençait à faire de la prod : on passait plus de temps sur nos ordinateurs qu’à jouer sur nos instruments, et à rajouter un patte un peu électro dans le jazz qu’on faisait. Ce truc-là a un peu tapé dans l’oreille de chez Universal et de chez Blue Note.

En février 2019, on est appelés chez Universal avec mon manager (l’éditeur qui est passé manager, Laurent Balandras). J’arrive chez Universal, je leur explique ce que je veux faire : mélanger la prod que je faisais (je bossais encore avec des rappeurs) avec pleins de trucs que je faisais avec ma trompette. Je voulais me mettre en avant sur ce truc-là. Au final, il me signe pour que je sorte un EP en octobre. Quand je signe, c’est en juin, et le temps que les contrats se fassent… ça a pris un peu de temps. Ils me disent que mon album est super, mais qu’ils n’allaient pas sortir dix titres tout de suite, donc je devais en choisir cinq. Sauf que moi, je l’ai fait pour que ce soit écouté sur disque, donc je vais en faire quelque chose. J’avais bossé sur pas mal de prods toute l’année, tout seul sur mon ordinateur. Je me suis dit que c’était l’occasion de le faire, et du coup j’ai tout fait tout seul, en rappelant mon pote réalisateur pour qu’il m’aide à mixer et finir les prods. Du coup, je ne suis plus tout seul, avec mon pote qui m’aide à finaliser les tracks, en fait… ça s’est fait un peu par la force des choses, mais parce que j’avais envie d’aller dans une direction où personne me suivait vraiment parce que faire de la prod quand t’es musicien : c’est assez rare ! Souvent, t’es devant l’ordinateur. J’ai fait pas mal de prods avec des pianistes et au bout de deux secondes, quand tu leur dis : « Attends, deux secondes ! Je travaille le son » ou « Je fais un truc, là… », ils s’emmerdent et du coup ils jouent tout le temps… en fait, tout s’est un peu éloigné pour que je fasse mon truc à moi, tout seul… voilà, quoi. C’est un peu long, j’imagine, mais…

Non, non pas du tout ! Du coup, tu as pu m’expliquer comment s’était faite ta rencontre avec le label Decca, et de cette rencontre est né ton premier EP Placement Libre, le 11 octobre 2019. Il y a cinq titres et sur les cinq titres, tu as trois clips qui ont été faits pour Vue sur Mer, Enderman et Optimisé. Parmi tous ces cinq morceaux, lequel t’as le plus marqué à réaliser et pourquoi ?

Mon préféré et celui qui m’a le plus marqué, c’est Enderman. C’est un morceau que j’ai écrit en quelques heures. Je sortais d’un rendez-vous chez Universal Publishing cette fois-ci, parce qu’ils voulaient me signer en édition là-bas. J’y rencontre un des gars du publishing qui me dit qu’il aime beaucoup ce que je fais mais qui m’a aussi demandé ce que j’allais faire plus tard, quelle musique j’allais proposer, si j’avais un plan… ça m’a fait beaucoup réfléchir et quand je suis rentré, j’ai écrit ce morceau. Je me suis aperçu que j’avais tout mélangé ce que j’aimais à ce moment-là, dans ma musique. J’ai mélangé des trucs de trap, un peu de hip hop, un peu de house et des mélodies assez prenantes à la trompette, qui moi me plaisaient, assez simples mais également assez jolies, en mettant le son de trompette que j’aimais. Quand je commence à composer ce truc, la mélodie m’est un peu venue en pensant à ma grand-mère. Quand j’ai fini ce morceau, je me suis dit que j’avais déjà dédié un morceau à ma grand-mère sur mon ancien EP, et que celui-là sera pour elle. C’est pour ça que je l’ai appelé Enderman. Ça faisait longtemps que je voulais mettre en image, ma grand-mère, et fin août-début septembre, on a attendu qu’il n’y ait plus grand monde pour pouvoir s’en occuper. C’était l’occasion de la mettre en image et de faire un petit film autour d’elle, qui est une femme très importante dans ma vie. C’est un peu pour tout ça que ce morceau est mon préféré, parce que c’est celui qui me touche le plus…

Entre ton premier son Aliens Believe in Us et ton premier EP, on sent une nette évolution électro-jazz vers un beat plus… hip hop/trap/afrobeat (avec Baile x Baile) ! Comment t’es venu ce brassage de sonorités et pourquoi cette évolution musicale ?

Ça va être assez simple à t’expliquer : j’étais toujours avec mon quintet, et j’avais changé pas mal de fois de musiciens parce que je voulais bosser avec des sonorités électro, c’est-à-dire que le batteur, je voulais qu’il ait des machines pour pouvoir avoir des sons électro, etc. Bref, le quintet se remodule un petit peu selon les gens qui veulent faire ça ou pas. Il me fallait une formation avec des gars motivés pour faire ça. À ce moment-là, j’écoutais pas mal d’électro, pas mal de house… et à côté, j’écoute aussi beaucoup de musique de films, et je suis très inspiré par Hans Zimmer ! Je me fais toute sa discographie, tous les films qu’il a fait, etc. et j’écoute ça en boucle ! Ça me transcende pas mal, et j’avais envie de mixer ça avec de l’électro et la patte « jazz » que je peux avoir à la trompette. J’avais vraiment envie de faire ça, et il y a du coup dix titres qui sont dans cet esprit-là. Ça se fait un peu… instinctivement, ça se fait un peu comme ça. Moi en gros, la musique, je l’écris vraiment papier, ensuite on la joue, et comme je te disais, il y a Thomas Sega, qui est réalisateur, qui lui se tient derrière l’ordinateur et qui va nous dire comment faire les choses pour que ça sonne électro (répéter le morceau, ensuite le faire un par un, ou le faire deux par deux, etc.), pour ensuite l’enregistrer différemment de ce que l’on enregistre en live. Du coup, il y a une touche électro. Ensuite, ça faisait déjà un moment que je me remettais à faire de la prod sur ordinateur. J’avais arrêté pour rebosser la trompette puisque ça me prenait trop de temps : il fallait que je fasse un choix un moment, du coup je me suis dit qu’il fallait que je bosse ma trompette. En faisant cet album et en continuant à bosser des prods de rap, etc. sur mon ordi, je me dis : « Putain, ça me plaît vraiment ! ». J’avais envie de revenir à ce que j’avais en tête il y a longtemps, c’est-à-dire poser ma trompette sur mes prods. C’est ce que je fais avec Placement Libre. C’est pour ça qu’à ce moment-là j’ai pas besoin d’avoir de musiciens avec moi, parce que je retourne à un truc un peu plus simple, plus dans les codes qui se font actuellement (et plus dans les trucs que j’écoute, aussi, actuellement). C’est pour ça que ça sonne plus « rap », ou plus « hip hop », c’est parce qu’en fait à ce moment-là j’écoute plus de rap, parce que j’en fais plus sur l’ordinateur pour des mecs, etc. et que je me rappelle que, quand j’avais quinze ans, mon rêve, c’était de devenir Dr. Dré ! (rires) Je me suis dit que c’était l’occasion de mêler l’ordinateur avec le son acoustique de la trompette !

Et du coup, quels sont tes artistes de référence qui t’amènent à composer ta musique ? Quelles sont tes inspirations musicales (tu me parlais de Dr Dré…) ?

J’en ai beaucoup ! Honnêtement, ceux qui m’ont vraiment marqué, ça va être Dr. Dré, P. Diddy aussi (je sais plus quelle année il avait sorti un album qui s’appelait PressPlay et c’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais faire de la musique ma vie)… après, dans les musiciens, c’est arrivé plus tardivement, mais Miles Davis, Roy Hargrove, parce que c’est lui qui m’a fait redécouvrir la trompette… et dernièrement (mais il y a un petit bout de temps quand même) : un trompettiste qui s’appelle Christian Scott, qui est un dieu pour moi car il m’a complètement renversé. Après, dans d’autres styles, comme je te disais : Hans Zimmer, c’est vraiment quelqu’un qui m’a… bercé pendant des mois et des années, et qui s’est vraiment installé dans mes oreilles. Après, pas mal d’autres artistes, mais je pense que c’est vraiment eux qui ont fait que j’ai envie de faire ce que je fais là.

Notamment par le biais d’Hans Zimmer (le côté musique de films) : dans quelle ambiance souhaites-tu immerger ton auditoire ? Qu’essaies-tu de lui retransmettre à travers ta musique ?

Bah moi, ça va être sincère mais c’est pas trop ce que je fais en ce moment… En gros, mon but, c’est de sortir un album qui puisse être écouté par le plus de gens possible, parce que j’ai envie de toucher pas mal de gens et de pouvoir faire découvrir ou redécouvrir l’instrument que je joue, parce que c’est sûr qu’actuellement, c’est pas l’instrument qui est le plus en vogue… mais mon rêve un peu absolu, c’est de faire de la musique qu’on écoute vraiment. C’est-à-dire qu’on prend le temps d’écouter, qu’on se pose dans un canapé ou qu’on aille se poser sur la plage, en fait c’est une musique que j’ai envie qu’on écoute d’abord tout seul. Je veux partager des émotions assez fortes et assez puissantes, qu’ensuite tu peux partager à deux, à trois … c’est vraiment des trucs dont j’ai envie, mais pour y accéder (et aussi parce qu’il y a une part de moi qui aime d’autres trucs), je sais que je dois passer par des trucs un peu plus simples, un peu plus dansants, un peu plus… on va dire un peu plus « mainstream », parce que si actuellement, je sors tout (parce que j’ai écrit pas mal de morceaux un peu dans ce style-là, c’est épique, des trucs de sept minutes, huit minutes, des trucs de transe, etc.), mais je sais qu’avant de sortir ça, j’ai besoin de me faire découvrir parce que j’ai une autre facette de moi qui aime bien faire des sons dansants, comme Baile x Baile, des trucs comme ça, ou des trucs de prods ou des trucs un peu plus légers, qui font que c’est un peu plus « easy listening », en « plus facile à écouter ». Moi, mon but ultime, c’est de sortir un vrai album, une vraie œuvre d’art, qui s’écoute vraiment du début à la fin, et où on se fout des codes de « Ouais, mais là, il y a pas de chant », « Ouais, mais là, ça fait pas 3 minutes 10 secondes », « Ouais mais là », pour miser plutôt sur « J’ai envie d’écouter tel album ou tel titre à ce moment-là, et je me pose et j’écoute, et je voyage »… c’est un peu mon but.

D’ailleurs en parlant de « voyage » et de « plage », on sent que tu souhaites nous mettre dans une espèce de mood un peu cosy, à travers notamment tes clips, qui se rapprochent beaucoup de l’univers du rap avec les codes de la gestuelle du rap que tu fais en même temps de jouer (un peu rappeur), le streetwear, le côté un peu « bling bling »… il y a cette fusion d’esthétismes. Au-delà des fusions de genres musicaux, il y a cet esthétisme que l’on ressent un peu dans tes clips. D’ailleurs, qui réalise ces clips ? Est-ce toi ou est-ce que c’est dirigé par quelqu’un d’autre ?

Alors, les trois clips sont réalisés par Victor Bergeon, sous le nom de Geonber 3000 (rires). En fait, c’est un pote à moi que j’ai rencontré il y a deux ans, et… justement, l’année où j’avais enregistré cet album, Aliens Believe in Us, j’avais fait un premier clip qui avait été financé par le CNC, donc d’Aliens Believe in Us, et j’en étais pas très content. Ils avaient fait appel à une boîte de prod, etc., on avait un budget et puis… je sais pas, je suis pas très content de ce clip, mais en même temps, c’était ma première expérience face à la caméra, avec du monde que je connais pas… et cet été-là, je rencontre Victor, et je sais pas pourquoi, mais il y a une connexion entre nous et je lui raconte un peu que j’ai envie de monter une équipe autour de moi et de travailler avec des gens… en fait j’ai envie de monter une vraie équipe comme ça se fait justement dans le rap. La force de ces gars, c’est qu’ils ont une équipe autour d’eux. Ils sont tous investis dans un projet qui sert à tout le monde. Moi, mon but, c’était pas forcément de… je me mets en avant, mais derrière, j’existerais pas s’il y avait pas par exemple Thomas Sega, qui réalise mes sons, ou Victor, justement, qui fait les clips et qui fait l’image ! Du coup, mon but, c’est de monter « en famille » on va dire, avec des gens que j’apprécie, que j’ai envie de voir monter avec moi (à notre petite échelle, parce que bon, je dis « monter », mais c’est pas…).

Donc à ce moment-là, je rencontre ce gars et au final, on a fini par se voir tous les jours. C’est venu un peu tout seul, et quand j’ai signé chez Universal, qu’ils m’ont dit qu’il allait falloir faire d’autres clips, etc. je leur ai dit que je voulais faire des clips avec lui. À ce moment-là, lui n’avait fait qu’un seul clip, et je lui ai laissé les cartes en main, et on a discuté sur les trois clips qu’on a réalisés ensemble ! Pour le premier, je lui ai dit que je voulais faire sur le son de Vue sur Mer… en gros, la musique de Vue sur Mer, c’est vraiment tout pris des codes de la trap : un refrain un peu facile à entendre, qui se retient bien, ensuite les couplets, c’est de la mélodie, mais ensuite c’est que des rythmes de phrasé de rappeur, quoi. Ça me faisait marrer de faire ça, alors on s’est dit qu’on allait montrer un peu la « hype » dans laquelle j’étais. C’est pour ça qu’on a fait ce clip-là. Enderman, pareil, je voulais le faire avec ma grand-mère, donc c’est moi qui ai eu l’idée donc je lui ai dit ce que je voulais faire et on l’a fait.

Ensuite, pour Optimisé, c’était un peu plus compliqué : Universal m’a envoyé à Miami pour bosser une semaine en séminaire. En fait, on était trente artistes à bosser dans une villa où il y avait quatre studios. Toutes les trois heures, on changeait de studios et on bossait pour faire des sons. C’était un peu ambiance « reggaeton » là-bas (forcément parce que t’es à Miami). Universal m’a dit que je partais et moi je leur ai dit « Ah, mais je pars tout seul ? Il y a pas moyen de ramener Victor ? Il pourrait faire un peu mon manager, là-bas, vu qu’il est bilingue. Ça pourrait être pratique et comme ça on pourrait faire des images ! ». À ce moment-là, ils me disent : « Ok, trop cool ! Eh bien faites un clip sur Optimisé là-bas ». Et au final… (rires) et l’anecdote qui est assez marrante, c’est que du coup, on est là-bas et on a que des images de moi qui bouge la tête devant des enceintes ! (rires) Du coup, il me dit « Mec, je sais pas comment je vais faire un clip avec ton truc, là. » On est en studio de 10h à minuit tous les jours, on est à Miami, mais on voit pas l’extérieur et il y a que le matin où on pouvait se baigner à la plage, donc c’est chaud, tu vois ? Du coup, ils nous avaient laissé deux jours de plus pour pouvoir faire des images. On a essayé de faire des images un peu là-bas, puis on est rentrés à Paris….

D’où le côté un peu « mise en scène », théâtralisé », genre « souvenir », « flashback », quoi…

(rires) Bah en fait, c’était sûr : on arrive à Paris, on monte le truc et puis on se retrouve au café vraiment. Puis on se dit : « Putain, mec, le clip est pas dingue. On dirait vraiment que c’est deux potes qui ont fait leur montage de vacances, quoi… ». (rires) On se dit : « Putain, c’est chaud, on est comme des cons, là ». Et à ce moment-là, on est vraiment comme deux cons au café, et on se dit : « Bah vas-y, tu sais quoi ? On essaie de faire les trucs les plus sincères et réels possibles, que ce soit dans les clips qu’on fait que dans la musique que j’essaie de proposer ». Du coup je me suis dit qu’on allait vraiment raconter qu’on savait pas quoi faire, à ce moment-là… du coup, c’est pour ça qu’on a filmé ça après et qu’on en a fait un mini-sketch tous les deux !

Ça rend vraiment bien en tout cas, vous avez vraiment sauvé le truc ! (rires)

Ouais, mais à la base, ça part vraiment de « Putain, on sait vraiment pas quoi faire, et que c’est pas ouf ce qu’on est en train de faire ! » Donc, c’est marrant, ouais (rires)…

Du coup, je vais passer aux projets, maintenant : tu as collaboré avec (quand même) pas mal d’artistes, on compte Seal, Sinkane, Smokey Joe & the Kid, Kungs aussi, pour son tube This Girl… qu’as-tu tiré de ces rencontres ? Y a-t-il d’autres artistes avec lesquels tu souhaites travailler à l’avenir ?

Ouais, à fond : il y a plein d’artistes avec qui j’aimerais bosser ! Et qu’est-ce que j’en ai tiré… à la base, beaucoup d’expériences de scène, puisque j’ai commencé à vraiment être musicien grâce à la scène. Ça m’a appris les tournées, etc., comment ça se passe, comment gérer des Zénith comme jouer dans un pub devant trois personnes… parce que du coup, j’accompagnais des grands artistes, mais à côté aussi, j’avais des projets où il y avait deux entrées, personne ne venait écouter la musique, ou je jouais pour des mariages… Mais pour ce genre de gros artistes, ça m’a… je pense que, dans le milieu dans lequel j’étais, dans le jazz (qui est assez renfermé), ça m’a permis de m’ouvrir sur autre chose (même si moi, musicalement, j’étais déjà ouvert sur autre chose), mais sur une vision de comment la musique existe et de comment tu peux vivre de la musique. Là où j’ai le plus appris, par exemple, c’était avec Kungs, parce que c’est là où je suis rentré chez Universal, sans être signé, mais en tout cas j’ai commencé à comprendre comment l’industrie musicale marchait. J’ai beaucoup appris de ça, et je pense que ça a été un peu une force pour moi à un moment où d’autres mecs, que je trouve beaucoup plus talentueux que moi, galèrent avec leurs projets parce qu’ils savent pas comment le vendre, etc. C’est pour ça que… tu vois, quand tu disais « le côté un peu bling bling » dans les clips, ce n’est pas un truc auquel je me suis dit qu’il faut que je fasse pour que ça marche, parce que c’est une part de moi, tu vois. Mais en tout cas, je savais que mettre en images la musique instrumentale, c’est pas un truc qu’on fait trop… et qu’il fallait changer un peu les choses, et que si je voulais faire écouter du jazz à n’importe qui, eh bien c’est un peu comme ça qu’il fallait que je procède. Je dirais que ça m’a appris vraiment l’expérience de la scène, de travailler avec tous ces artistes.  L’expérience aussi de faire les choses parfaitement, parce que quand tu joues avec Seal, faut pas se foirer, quoi ! Seal, par exemple, ils m’ont appelé trois jours avant pour me dire que je partais faire la tournée en France, qu’il y avait douze morceaux qu’il fallait que je connaisse par cœur en trois jours. Donc, c’était un peu extrême… du coup, ça te permet d’être confronté… enfin, tu fais pas ce que tu veux dans ces moments-là, donc c’est assez cool. Avec Kungs, ça m’a vraiment appris l’industrie musicale.

Au-delà du fait que tu aies collaboré avec des artistes, tu as aussi participé au Blue Note Festival, qui est organisé par le label Decca, en première partie de Ben l’Oncle Soul à l’Élysée Montmartre. Tu aussi connu, comme tu disais, les salles du Sunset Sunside et de la Petite Halle, et aussi l’événement du MaMA Festival en 2019, qui a eu lieu cinq jours après la sortie de ton EP. Quel événement parmi tous ceux-là (et même ceux qui ne sont pas cités) t’as le plus marqué et pourquoi ?

Dans ceux que tu as cité, celui qui m’a le plus marqué, c’était à l’Élysée Montmartre, parce qu’au final, je m’attendais pas à ce que la salle soit pleine en première partie. Du coup, il y avait déjà tout le public de Ben qui était là. Moi, personne me connaissait et on n’était que trois sur scène et j’ai été assez surpris de la réaction du public (de ce que j’ai ressenti et des commentaires que j’ai vu après), qui a vraiment apprécié le truc. Je pensais pas qu’on serait applaudi à ce point-là et il y a eu une vraie énergie à ce moment-là qui était assez dingue ! Surtout que c’est pas un exercice facile de faire des premières parties, et à ce moment-là, c’était assez fou ! Donc, c’était vraiment une super expérience…

Sinon, ma plus belle expérience de scène, je pense que c’était avec Seal, justement. C’était à Monaco, et à ce moment-là, on jouait un morceau : My Funny Valentine… donc, lui, il chante et puis moi je prends un grand solo au début, tout doux, donc vraiment ce que j’aime faire, mais… t’es vraiment à poil ! T’es tout seul, et puis faut que ce soit classe ce que tu fais ! À ce moment-là, vient mon tour et puis je pars dans mon truc et… je suis plus là. Au moment où je rouvre les yeux, il y a Seal qui me tient par l’épaule, qui me tient dans ses bras en fait, et qui fait 1m…95 ! Voilà, donc je faisais tout petit à côté ! J’avais pas senti qu’il était venu ! À la fin, il me présente après le solo, et il me glisse dans l’oreille : « C’était cool, ce que t’as fait ». C’était assez dingue, à ce moment-là.

Ah ouais, j’imagine ! Eh bien ! (rires) Et y a-t-il une salle ou un événement pour lesquels tu rêverais de jouer et pourquoi ?

Ouais, moi j’aimerais bien jouer à la Cigale. C’est vraiment une des salles qui me plairaient le plus. Même le Trianon, c’est assez chanmé, mais… je sais pas pourquoi, j’ai une affinité avec la Cigale puisque je pense que j’ai dû aller y voir des concerts qui m’on fait ressentir pas mal d’émotions. J’avoue que c’est une salle dans laquelle j’aimerais bien me produire, ouais…

Ouais, c’est une salle qui dégage quelque chose…

Ouais, ouais et puis tu sais, t’es entre la grande salle et puis… enfin, c’est quand même une grande salle, donc du moment où tu joues là… c’est cool, quoi ! Tu vois, au niveau de la notoriété… mais c’est pas encore un truc qui est énorme non plus, j’aime vraiment bien cet entre-deux, je pense que c’est le genre de salle que j’aime bien… en tout cas en capacité, c’est le genre de salles dans laquelle allaient les groupes que j’ai accompagné et c’était mon genre de salles préféré, quoi.

Pour finir, y aurait-il des projets prévus pour 2020 malgré cette période de confinement/pandémie ? J’ai vu sur tes réseaux sociaux que tu nous préparais un projet pour juillet prochain, du doux nom de Station Balnéaire… est-ce que tu pourrais nous en parler un petit peu plus ?

Ouais carrément ! Alors j’ai pas encore les dates exactes… mais ce projet est un projet assez spécial : c’est une part de moi. C’est pas tout de moi, c’est un peu ce je te disais tout à l’heure, c’est-à-dire que c’est un truc assez solaire, assez électro, et c’est carrément plus festif que ce que j’ai pu faire avant, que ce soit dans les projets qui sont sortis que les gens ont pu écouter ou les trucs qui sont jamais sortis et qu’il n’y a que moi qui écoutais. J’ai appelé ça Station Balnéaire tout simplement parce que pour moi, c’est neuf titres qui racontent vraiment ma journée-type que j’ai pu connaître sur l’Ile de Ré, par exemple en vacances, l’été… c’est un truc, si tu veux, quand je suis rentré de Miami, ça m’a pas mal ouvert l’esprit sur d’autres trucs ! J’ai vraiment découvert, par exemple le reggaeton et je me suis dit : « Putain, mais… en fait, c’est ouf, ce truc ! Je veux en faire ! ». Donc, j’ai commencé à bosser ça, et je le mixais justement un peu comme j’avais fait sur Placement Libre. Du coup, il y a des sonorités un peu plus reggaeton, un peu plus dansantes, un peu plus électro…

Ouais : notamment avec Baile x Baile, j’avais remarqué…

Ouais, ouais, et là il y en a encore un peu plus dans ce style-là. Voilà, c’est un truc que je bosse depuis… depuis mars, que j’ai commencé à bosser pendant le confinement, en fait ! Donc, c’est assez bizarre, parce que c’est un truc ultra solaire que j’ai bossé dans un moment où on était tous enfermés, donc c’était un peu spécial, et… et voilà ! J’ai un peu hâte que ça sorte. Il y a même deux titres où on va entendre ma voix ! Donc…

Ah oui ? Ça va être inédit !

Ouais, ouais ! (rires) Donc ça va être marrant… je trouve ça marrant ! En tout cas, je suis content. Et voilà : c’est un projet vraiment pour l’été. C’est pas tout de moi, mais c’est une partie de ma vie, parce qu’une partie de ma vie s’est passée ici, là où je suis sur l’Ile de Ré, et que l’été, c’est là où j’ai rencontré tous mes meilleurs amis, c’est là où j’ai fait beaucoup de choses… c’est important pour moi de redonner un petit côté « plage » et un petit côté « léger » dans une musique instrumentale où, comme je te disais, le jazz, des fois ça devient un petit peu trop élitiste ou quoi… là c’est un truc un peu plus léger, et un peu plus dansant, quoi !

Alors restez connectés pour découvrir cet EP prometteur ! En attendant, n’hésitez pas à vous balader sur ses réseaux sociaux et à découvrir tous ses sons !

Alice NICOLAS