Dave impressionne sur son deuxième album : “We’re all alone in this together”

DAVE – We’re All Alone In This Together

L’artiste originaire de Streatham, au Sud de Londres, vient de sortir ce vendredi son deuxième album : « We’re all alone in this together ». Comme sur le premier opus « Psychodrama », on retrouve un Dave qui se positionne comme un poète, narrateur, un réalisateur voire un peintre des temps modernes. Mais comment fait-il pour autant faire écho à la vie de tout un chacun, comme s’il nous parlait individuellement et directement ?Nous allons tenter d’analyser cet album en présentant les différents aspects qui reviennent dans la musique de l’artiste d’origine nigériane et qui lui permettent d’autant toucher ses auditeurs.

  1. Dave,un clown triste entre luxure et torture :

La première partie de cet album comprend les 3 premiers titres et semble être une introduction dans ce voyage à la fois personnel et universel. En effet, ce début de projet, tant dans les compositions que dans l’interprétation et les lyrics, apparaît comme étant une preuve de la confiance engrangée par Dave, notamment avec une part d’égotrip et de frime plus grande par rapport aux morceaux suivants. Cependant, Dave ne perd rien de son fatalisme habituel, son sens du contraste et de sa mélancolie intrinsèque. Dans le premier track de l’album, « We’re all alone », il déclare par exemple «Dinners with the same niggas, just higher bills. And all the models Himalayan, they got higher heels.»Pour insister sur sa réussite financière et les belles femmes qu’il côtoie. Cependant, on comprend directement que ce n’est qu’une façade, et qu’il n’a pas totalement guéri de la dépression dont il faisait état sur « Psychodrama ». En effet, il nous rappelle sa vulnérabilité, sa normalitéet nous montre que son histoire personnelle peut en fait toucher tout le monde : « I got a message from a kid on a Sunday mornin’. Said he don’t know what to do and that he’s thinkin’ of killin’ himself. Me and him got more in common than he thinks». On comprend alors directement le titre de l’album et donc sa cover : nous avons tous nos histoires propres, mais elles se ressemblent dans leurs différences et finalement nous sommes tous « individuellement ensemble », sur le même bateau, essayant de naviguer sur les flots que représente la vie. Même étalage de réussite sur « Verdansk »:«I’m in Hollywood Hills with a white Rolls Royce and a one brownin’ from Compton. The Lamboparkedjust in front. ». Cela continue ensuite avec « Clash » (premier extrait du projet) en featuring avec Stormzy. Avec des punchlines tranchantes et une pointe d’humour, doublés d’une alchimie parfaite avec son compatriote : « I’mso close to my pension, myleftwristissixty-one : myleft-wristretiring » pour ironiser sur le prix de sa montre. Le morceau suivant, qui n’est autre que « In the fire », est une démonstration de rap, avec Fredo, Ghetts, Giggs et Meekz Manny, Dave introduit la partie suivante sur une composition qui n’est que le début des influences gospel de l’album. Ce morceau est conclu par une outro où l’on peut relever une phrase qui résume très bien le but de la musique de Dave : faire écho aux histoires personnelles des gens : « Thenyoubecome a voice for the voiceless ».

On peut opposer cette première partie d’album à deux destitres positionnés en fin d’album. En effet, sur « Twenty to one », il chante son spleen avec émotion. Il expose l’absence d’amour dans les rues « Where I stay on the streetthere’s no love », les discriminations auxquelles il fait face en tant que jeune homme noir « Odds on myfreedom are twenty-to-one ». Sur « Survivor’sguilt », qui clôture l’album, il nous parle sans filtre et nous révèle ce qu’il ressent vraiment sous la notoriété, le succès, la richesse de sa jeune vie : « Let me show youbehind the scene, behind the glitz and the glamour and all the lightsyousee, behind the rumours on the life I lead. Let me talk to the people like it’s the mic in me, the truth is I got really bad anxiety. » et se positionne encore une fois avec une totale transparence comme un porte-parole.

Justement, il met aussi ce rôle au service de certaines causes et idées qu’il défend…

  • Dave, un homme qui parle des problèmes qui rongent la société dans laquelle il vit et un africain qui s’assume :

En tant que Londonien, plus particulièrement en tant qu’habitant de Streatham, il est totalement conscient de la violence qui y règne, et qui ne fait qu’augmenter. On l’avait notamment vu jouer dans la série « Top Boy », une série qui raconte les guerres entres quartiers de Londres où il incarnait « Modie », un hors-la-loi violent. C’est avec ce genre de rôle ou avec des morceaux comme « Heart Attack » qu’il se fait le témoin de toute une jeunesse, embourbée dans la violence, sans jamais perdre de vue les raisons qui font de la situation ce qu’elle est. Cette violence l’a aussi marqué dans sa vie personnelle, puisqu’un de ses grands frères a été condamné à perpétuité pour meurtre lorsque Dave était encore mineur, mais aussi parce qu’il a perdu des proches en raison de cette violence et de la rue, à tel point qu’il admet ne plus pouvoir faire leur deuil ou réaliser et être bouleversé par la mort tant il est banale pour lui : « I’mnumb to the feelin’ of grievin’ ».

Dave est aussi très lucide quant à la société dans laquelle il vit. Le Royaume-Uni étant un pays très cosmopolite, de nombreuses origines sont représentées et Dave en a l’habitude. Il saisit pleinement les enjeux culturels que cela implique et les défis du vivre-ensemble, comme dans « Survivor’s Guilt » : « I fell in love with an Albanian, I know it’smad. We’re not together, ‘cause her family would hold us back. I saw the red flags, I wouldn’t want my child to grow in that» en référence à une histoire vécue avec une jeune femme d’origine albanaise qui avait suscité moult réactions sur les réseaux sociaux en raison de leurs différences culturelles. Relation dans laquelle il n’avait pas persisté en raison de des inconvénients que ces différences comportent, notamment par rapport à leurs familles respectives. Donc parfaitement conscient des enjeux culturels du pays qui l’a vu grandir, il n’oublie cependant pas de contextualiser ce qui à mener à un tel mélange des cultures.

En effet, à l’image de ce qu’il avait pu faire sur « Psychodrama » avec le morceau « Black » (qui faisait état de la condition des noirs et appelait à la fierté par rapport à sa couleur de peau), Dave nous livre dans « Three rivers » un triptyque à destination des trois grandes communautés issues de l’immigration au Royaume-Uni : les personnes venues du continent Africain et des Antilles, celles venues du Moyen-Orient et les celles originaires d’Europe de l’Est. Il décrit les calvaires par lesquelles la plupart d’entre elles sont passées, calvaires qui ne s’arrêtent pas une fois que le voyage est terminé : une fois en Angleterre, la pauvreté, la différence culturelle, le racisme, les difficultés d’intégration, le désintérêt du gouvernement touchent presque tous ces immigrés qui étaient venus en Angleterre pour fuir la violence, la pauvreté, la guerre la dictature. Le « rêve » britannique se transforme alors en cauchemar: « When you look into the mirror, you’re reminded again that you’ve become the dictator you were fightin’ against »; «Imagine a place wherе you raise your kids. The only place you livе says you ain’t a Brit. They’re deportin’ our people and it makes me sick. ‘Cause they was broken by the country that they came to fix». Cela entraîne des dilemmes identitaires qui sont une souffrance pour beaucoup de personnes issues de l’immigration. Cependant, dans une outro chargée de sens, Dave donne encore une fois un message d’espoir qui parle au plus grand nombre, on entend : « Man, this water don’t even like me, it’s not even for me. It’s not takin’ me where I wanna go, it’s not takin’ me where I wanna go. It’s who the fuck I am, bro, you know I’m sayin’?So, the tide will tell me that bein’ black is an obstacle. See what I’m sayin’?I had to, switch Rivers, bro. It’s like bein’ black is an asset. I am who I am because I’m black. And I love everything about it, you feel me?And that’s who the fuck I am » pour faire de ce que les gens n’acceptent pas une force et un aspect incontournable de sa personne, de son identité.

Ce qui nous amène sur les deux titres d’après, où Dave assume pleinement sa culture et affiche fièrement ses racines, qui font de lui ce qu’il est. Encore une fois, comme sur « Psychodrama » (où on retrouve le tube « Location », en featuring avec « The African Giant », j’ai nommé Burna Boy), Dave va puiser dans la créativité et la richesse de la musique de son pays d’origine. Cette fois, deux artistes de son pays d’origine (le Nigéria) sont présents sur cet opus. On sent que cette grosse partie de sa culture compte énormément pour lui.En effet, sur « System », en featuring avec le désormais incontournable Wizkid, il reprend des rythmes courants d’afrobeats et nous offre une escapade ensoleillée et pleine de bonne humeur et de sensualité qui contraste avec son angoisse si présente. Il va même plus loin sur « Lazarus » en featuring avec l’autre nigérian de l’album : Boj. En effet, Boj chante un refrain totalement en Yoruba, la langue et l’ethnie la plus représentée au Nigéria. Dans ces deux morceaux, il va puiser dans ce qui fait sa culture et dans la richesse de son éducation de manière assumée et fière, ce qui donne forcément un résultat plus que convaincant. Mais les deux morceaux ont également un autre point en commun : sa relation aux femmes et à l’amour en général, toujours avec une pointe d’humour en référence à des incontournables de la cuisine d’Afrique de l’Ouest : « I think me, women, and Italianshoesworkwelltogetherlike Maggi and cube ». On découvre ainsi le Dave plutôt « player », qui nous plonge dans un jeu de séduction sucré. Il continue d’ailleurs sur « Law of attraction » avec SnohAalegra, où il dévoile ses sentiments à une femme et nous décrit une histoire d’amour passionnelle.

Cependant, comme nous le savons tous, l’amour est souvent douloureux, et Dave sait aussi parfaitement comment sublimer ses blessures d’amour.

  • Dave ou l’amoureux déçu :

Là où il avait également pu le faire par le passé, Dave nous raconte également les chagrins d’amour, et la séparation inexorable de deux êtres qui s’aiment. C’est le cas dans « BothSides of a Smile », une double chanson magnifique en featuring avec James Blake. Il y semble amoureux, mais n’arrive pas à s’investir pleinement, est quelque part trop concentré sur sa musique, son succès et sa réussite : « Love’sa film and I’mjustflickin’ through the parts I’m in », comme s’il échouait dès qu’il avait la confiance de la femme et une responsabilité sérieuse. Dans la deuxième partie de ce morceau, il continue à nous décrire des sentiments de culpabilité, culpabilité qu’il aimerait effacer avec l’argent qu’il gagne « I wishthat I couldpay for mysinswith a lump sum, restore herbelief in me with a trust fund. The money can’t buy nothing when the love’s done». À la suite de cela, une femme lui reproche de nombreuses choses : son intérêt porté à d’autres femmes, son manque d’engagement et de considération envers elle… Elle continue en arguant que s’il ne la traite pas comme il faut, elle trouvera un homme qui saura le faire. De son côté, Dave conclut le morceau en nous confiant qu’il a l’impression de laisser passer sa chance, de ne jamais être à la hauteur lorsqu’il s’agit d’amour, ce qui lui vaut de gâcher une relation avant une femme qu’il aime.

Mais de multiples références à un rapport à l’amour et au rapport difficile qu’il entretient avec (qui découle sans doute de tous les points évoqués précédemment) peuvent être trouvées tout au long de l’album et nous montrent bien que c’est un des sujets où il finit régulièrement déçu et donc inexorablement seul.

En conclusion, cet album relève clairement de l’introspection et met en lumière toutes les choses qui font de Dave un homme comme nous. Ses angoisses, son humour, ses tourments, ses origines, son passé, ses défauts comme ses qualités font de lui quelqu’un de profondément humain et empathique. Mais c’est sa manière de les sublimer en musique qui fait définitivement de lui un porte-parole, capable de toucher les cœurs de chacun, peu importe d’où l’on vienne. Ainsi, comme il le dit, nous sommes à la fois tous tout seul, mais tous ensemble dans cette merveilleuse chose qu’est la vie : « We’re all alone in this together ».