DOURACK se livre pour VIPZONE dans une interview exclusive

VIPZONE : Tu es d’origine russo-polonaise, tu viens du 19e à Paris : comment ces
racines culturelles et géographiques ont façonné ton rapport à la musique ?

Je me suis toujours intéressé à la culture slave et c’est ce qui m’a donné envie de commencer le piano en autodidacte au départ, j’écoutais beaucoup Chopin, qui est polonais. Il y a de nombreuses références aux musiques traditionnelles et classiques russo-polonaise dans mes prods et mes compos. Ma mère me faisait écouter des compositeurs quand j’étais petit. J’ai notamment utilisé un sample de Tchaïkovski dans mon morceau “c’est pas la fin”, il est bien caché mais la prod est partie de ce sample de base ! C’est vraiment un objectif pour moi de mettre cette culture là en avant, ça fait partie de mon identité.

VIPZONE : Tu as commencé le piano et la production en autodidacte, puis tu es passé
par le conservatoire. Qu’est-ce que cette double approche (liberté/discipline) a changé dans ton processus de création ?

Avec du recul, c’est un peu compliqué de savoir. Je pense que c’est toujours bon, dans un but d’émancipation, d’acquérir le maximum de compétences; Aujourd’hui je pars du principe que la liberté passe par une forme de discipline, car tu deviens libre de faire plus ou moins ce que tu veux en musique quand tu composes, produit et écrit, du moins tu as toutes les cartes pour le faire. Mais je ne saurai jamais comment mon cerveau aurait été façonné sans cette double approche, peut-être que le fait de moins savoir laisse plus place à la créativité ? Peu de rappeurs et chanteurs de R&B sont passés par des parcours “classique et jazz” de conservatoire, ça ne leur empêche sûrement pas de créer, et c’est au contraire souvent eux qui ramènent quelque chose de nouveau. J’ai eu la chance d’étudier le piano avec Issam Krimi, qui a aussi cette culture rap & r&b, donc ça m’a aussi permis d’apprendre sans être frustré. Ça a toujours été la question pour moi, je me sentais bridé mais en même temps je kiffais apprendre des choses, aujourd’hui je pense que ça me permet juste une forme d’indépendance musicale.
À quel prix, je ne sais pas, j’aurai peut-être déjà release quatres albums si j’avais pas fait le
conservatoire ! Mais je ne crache pas sur ce côté institutionnel, je kiffais le piano à 17 piges
donc j’ai fait ce choix, même si de là où je venais, pas grand monde avait accès au
conservatoire, c’était considéré comme un truc de shlag un peu. Pas mal de potes du 19 m’ont jugés quand j’ai entrepris ça. J’avais le cul entre deux chaises à ce niveau là, j’ai découvert le Paris bobo mais je ne savais pas trop si j’y étais légitime. C’est intéressant socialement mais je m’y suis fait. Pour mon premier concert au conservatoire, j’ai ramené mes meilleurs potes du 19e, ça les a regardé en bizarre, je garde un fort souvenir de ça et eux aussi, on en a pas mal débattu.

VIPZONE : Quel rôle joue le 19e arrondissement dans ton identité musicale ? Est-ce
une source d’inspiration ou un décor de fond ?

Le 19ème c’est ma maison, j’ai passé 22 ans de ma vie ici avant que mes parents bougent à la retraite, et j’y retourne souvent pour me poser sur des bancs verts kaki avec des potos.
J’y ai grandi en écoutant du rap et du R&B, on était tous fan de la Sexion dans mon collège à l’époque, ça m’a aussi fait découvrir ce mix entre chant et rap qu’il y avait dans ce groupe
grâce à Gims et Black M. Je pense que quand tu grandis dans ces endroits-là, y’a un réel
sentiment d’appartenance qui se développe, j’écoutais Oxmo en me disant que son histoire, ça pouvait aussi être la mienne, il a grandi à quelques rues de chez moi, à Danube, à l’instar de Dawala. Je pense que plus globalement, c’est une question de culture urbaine, de groupe, d’appartenance et de ce qu’on l’on veut défendre, au délà du 19. On écoutait tous Or Noir au collège, moi je me suis mangé le R&B de Toronto parce qu’à côté je passais beaucoup de temps sur internet, et je partageais ça avec mon meilleur pote de l’époque. C’est aussi ce qui m’a amené à cracker FL Studio (comme beaucoup) quand j’étais ado, en guettant le début de la trap Metro Boomin. Je voulais refaire les prods de ces morceaux là ! Je me souviens que je me saignais à Jazzy Bazz (big up, c’est mon sosie apparemment) MHD, Jarod…Tous originaires du 19. Dans les milieux populaires, tu vois des mecs faire des trucs de fou en musique, en sport… ça joue beaucoup de voir des plus grands arriver à faire des choses bien dans ton environnement quand t’es petit, quand t’as un peu conscience des inégalités, ça te donne espoir et ça t’octroie le droit de rêver. C’est encore mieux quand ils viennent de ton quartier. Ça fonde profondément une identité et c’est important de ne pas l’oublier.

VIPZONE : Ton univers est très hybride : rap français, R&B alternatif, dream pop, dark
wave… Si tu devais représenter ta musique par un paysage ou une sensation, que dirais-tu ?

La nuit. Je pense qu’on est vraiment que nous même à 100% durant la nuit, et tout ce qui vient avec, que ça soit la solitude ou juste le fait d’être tranquille face à soi-même. Je compose mes tracks quasiment que la nuit, quand les rues sont silencieuses, quand t’as l’espace pour vraiment penser. Cette atmosphère nocturne, elle m’inspire et elle me touche toujours musicalement, de Chopin à The Weeknd. Visuellement aussi c’est un objectif, je ne veux pas non plus trop pousser le cliché du “dark” mais je cherche à développer ce côté sombre et froid dans ma musique. J’écoute énormément de groupes post-punk comme Cocteau Twins, Siouxies and The Banshees et Beach House, on retrouve aussi cette sensation sombre et nocturne dans ces musiques-là, ça m’inspire pas mal.

VIPZONE : Tu cites The Weeknd, Frank Ocean, PartyNextDoor, mais aussi Arsenik ou
Lunatic. Comment navigues-tu entre ces influences très différentes ?

Je kiffe le côté mélodique du R&B, c’est forcément un truc qui différencie ces deux genres, le fait de viber, de tester des trucs à la voix, opposé à l’aspect avant tout rythmique du hip-hop; les prods sont aussi différentes, mais quand t’écoute PNL, t’es autant sur du rap que sur du
R&B pour moi; même si c’est moins le cas dans les textes, tu as ce côté “cloud” et mélodique qu’on retrouve dans le R&B alt. Le rap français de cette époque-là m’a surtout apporté l’aspect prod, sample; et évidemment l’aspect écriture de texte, je me rappais toutes les tracks de Mauvais Oeil quand j’étais au collège. J’essaye de réunir toutes ces influences là en donnant quelque chose de singulier et de cohérent.

VIPZONE : Soundcloud, c’est un peu le laboratoire de l’underground des années 2010.
Que t’a apporté cette plateforme dans ta construction artistique ?

Je pense que ça éveille d’abord ta curiosité, et ça t’ouvre sur le monde. Tu peux écouter ce qui se fait à Montréal comme à Lagos, c’est une dinguerie de pouvoir digger comme ça en étant adolescent. Je me souviens avoir commencé les prods en écoutant House of Balloons, la première mixtape de The Weeknd, je m’écoutais tous les remix de Kaytranada sur Soundcloud, j’écoutais un mec de Laval qui s’appelle High Klassified. C’est une forme de liberté que t’as pas dans les formats de distributions classiques, et quand t’es jeune ça te mets dans la tête que tu peux faire ce que tu veux en vrai, que tu peux te connecter très facilement à des gens en dehors d’une “scène locale”. J’étais hyper connecté à la scène de R&B de Toronto, et j’ai toujours voulu ramener ce délire en France.

VIPZONE : Tu sors ton premier single « c’est pas la fin » : pourquoi ce titre ? Que veux-tu
dire à travers cette phrase ambiguë ?

ça parle de la fin d’une relation amoureuse, du deuil qui s’ensuit, mais ça marche avec pleins de trucs dans la vie. “c’est pas la fin du monde, c’est le début d’un autre”, c’est juste une manière de se rappeler la nécessité de tourner la page, de se reconstruire, d’être résilient, de se pardonner et de pardonner les autres même quand c’est le chaos.

VIPZONE : Ce morceau est très cinématographique, presque post-apocalyptique. Quel
imaginaire visuel t’accompagne quand tu composes ?

Sur cette track, j’ai direct eu l’idée d’une ambiance post-apocalyptique, j’en ai parlé au
réalisateur et il m’a suivi dans ce délire “fin du monde”. Je sortais d’une relation amoureuse
compliquée et toxique, et quand ça se termine tu peux avoir l’impression que c’est la fin du monde, que t’es voué à toi même et que y’a plus rien qui va s’arranger, donc on a visuellement joué avec cette allégorie.

VIPZONE : Tu joues sur le contraste entre des voix aériennes et des textures sonores
agressives : est-ce une manière de traduire des émotions contradictoires ?

J’ai toujours kiffé cette opposition là, une voix douce qui chante sur une prod énervée je
trouve que ça ramène à des émotions contradictoires effectivement, et puis ça surprend, y’a un côté assez poétique là dedans.

VIPZONE : Le thème de l’amour toxique et de la résilience post-rupture est central.
Est-ce une expérience personnelle ou une narration plus large sur notre époque ?

C’est clairement une expérience personnelle ! Dédicace à elle ahah. Nan en vrai je pense que beaucoup peuvent s’y retrouver, surtout dans notre génération, c’est un des thèmes principal sur ce morceau mais aussi dans mon prochain EP. Il y a toujours eu des relations toxiques, mais notre manière d’être aujourd’hui ultra-connectés facilite le développement de ce genre de relations je trouve. C’est aussi le sujet, les prochaines tracks parlent pas mal de ça. La manière de gérer une rupture est compliquée, c’est plus dur de tourner la page avec l’aspect numérique et le numéro, l’instagram de la personne à portée de main, ; et l’impression d’avoir un “fantôme” de cette personne toujours proche, accessible. La résilience et la volatilité des relations amoureuses de notre gen est bien différentes de l’approche de nos parents et grands-parents je trouve, donc on apprend en faisant des erreurs souvent.

        VIPZONE : Tu es producteur, auteur, interprète et ingénieur du son : est-ce que tout
        maîtriser est un besoin de contrôle ou un moyen d’exprimer une vision intégrale ?

        ça vient d’une curiosité de base, mais surtout d’un désir de pouvoir pousser ma vision au
        maximum. ça ne me dérangera pas de déléguer dans l’avenir, l’aspect prod ou mix, mais le fait de savoir le faire te donne une expertise qui, je pense, te permets d’aller vraiment plus loin dans ton art. J’ai toujours été admiratif de mecs comme James Blake ou Kevin Parker qui restent dans leur studio tout l’été et qui ont la maîtrise de leur art musical quasiment de A à Z, je pense que c’est aussi comme ça qu’on se singularise, qu’on trouve son “propre son”. C’est pas obligatoire mais ça peut passer par là. Et puis c’est très générationnel, on a accès à tout le savoir du monde sur internet, je porte pas mal à coeur ce côté DIY.

        VIPZONE : Tu parles d’un futur EP. Peux-tu nous en dire plus sur ce que tu prépares ?
        Une direction ? Un concept ?

        Je sors ça en septembre. C’est un EP post-rupture, donc pas mal de love ahah. Ce premier
        single donne vraiment la couleur de l’EP; ambiance nocturne et amour déchu, c’est ça le topo. Je vais soigner la DA au max, comme un “album concept” mais en format plus réduit.

        VIPZONE : Comment imagines-tu l’évolution de ta musique dans les prochaines années
        ? Plus électronique ? Plus organique ? Plus brutale ou plus épurée ?

        Je tends vraiment à rester dans un délire electronica, sombre, entre le R&B de Toronto, la soul de James Blake et le rap de mon enfance. Ma formation musicale et mes origines me donnent la possibilité de partir dans pleins de délire différents, mais pour l’instant c’est ma vision, et je veux ramener ce délire là en français.

        VIPZONE : Quel serait le featuring de rêve pour toi – passé, présent ou fictif – pour
        amplifier ton univers musical ?

        En ce moment j’écoute pas mal une chanteuse anglaise qui s’appelle Clara La San, elle fait du R&B/Électronique et c’est vraiment le délire que j’aime, entre ambiances nocturnes, voix soufflée et grosse nappes synthétiques.

        VIPZONE : Si tu devais écrire une seule phrase pour définir ton projet musical, ce serait
        quoi ?

        De la musique de zonard(es) qui roulent en Velib’ à 3h du matin juste pour l’ambiance.

        VIPZONE : Et si on te disait : Ce n’est pas la fin du monde, mais le début d’un autre, que
        répondrais-tu ?

        Que c’est cool de voir la vie sous cet angle, c’est assez optimiste malgré le délire sombre et post-apocalyptique du morceau. La vie c’est une boucle.
        Et qu’il faut aller streamer la track avant que je sorte la prochaine, avant le début d’un
        nouveau monde !!