Accueil Musique Album GAPMAN – Scam Industry Il existe une manière de parler de la rue sans l’idéaliser, de parler d’argent sans en faire une religion, de parler d’arnaque sans en faire un mode d’emploi. Avec Scam Industry, Gapman ne se contente pas de rapper la débrouille, il en fait le décor d’une critique sociale perverse et subtile, une galerie de personnages et de pulsions, où la survie a remplacé la gloire. Ce premier véritable album studio est un manifeste déguisé, un miroir noir tendu à une génération que l’on pousse à briller coûte que coûte, même si c’est dans la contrefaçon. Le “scam” ici n’est pas une simple arnaque. C’est un écosystème, une industrie parallèle avec ses codes, ses rites, ses échecs. Gapman ne l’aborde ni en héros ni en moralisateur. Il se place au milieu, dans cette zone grise où la nécessité prend souvent le pas sur l’éthique. Loin d’un énième album de hustle auto-glorifié, Scam Industry documente le quotidien d’un caméléon social, qui cherche l’équilibre entre rêve et désillusion, entre mythe digital et réalité physique. Ce qui frappe dans la production, c’est cette capacité à imiter les codes trap sans jamais sombrer dans la caricature. Gapman cultive l’art du détail musical décalé : un sample en trop, une note étouffée, une ligne de basse trop calme pour être triomphante… comme si l’album lui-même trichait un peu avec les codes. L’effet est déstabilisant, comme si chaque morceau tentait de séduire, tout en glissant une anomalie dans sa boucle. Un peu comme un faux sac de luxe, beau, bluffant, mais toujours un fil qui dépasse. Là où beaucoup d’artistes cherchent à se positionner sur la carte du rap français, Gapman préfère la falsifier. Son album refuse l’autopromo, la surenchère, la surproduction. Il avance par sabotage doux, il dit ce qu’on ne veut pas entendre, glisse des vérités inconfortables dans des flows lents, et surtout, démystifie la figure du scammeur. Chez lui, l’arnaque n’est ni une vocation, ni une punition, mais un symptôme. Celui d’un monde qui valorise le paraître plus que l’être, qui fait de la performance sociale un devoir, même si elle est fondée sur du vide. Scam Industry ne raconte pas une histoire linéaire. C’est un patchwork de scènes, de pensées volées, de voix intérieures et de dialogues flous. On croise des mentors absents, des potes qui tombent, des réseaux où tout semble possible, et des silences épais. Chaque morceau est une pièce d’un puzzle incomplet volontairement. Car dans l’industrie du scam, rien n’est jamais vraiment clair. Tout est mouvant, truqué, flou. Comme les promesses qu’on vend sur Instagram. Gapman utilise le “faux” non pas comme gimmick, mais comme langage esthétique. Il fait du bling low-cost une forme d’art. Il transforme la contrefaçon en métaphore du système. L’apparence devient un camouflage, un moyen de survivre dans une société où la valeur se mesure au nombre de vues, pas à la profondeur des idées. Le résultat ? Un album conceptuel, mais ancré, à la fois critique sociale et introspection douce-amère. Avec Scam Industry, Gapman ne cherche pas à plaire, il cherche à faire réfléchir. Il rappe comme on rédige une thèse de rue, avec des images sales et des vérités propres. À contre-courant d’une scène saturée de postures, il signe ici un album qui dit le vrai à travers le faux, comme un contre-champ salutaire dans le cinéma trop lisse du rap français. Ce n’est pas un disque pour briller. C’est un disque pour voir clair.