Keman “Nos Réalités” : chronique d’un éveil urbain

keman – Nos Réalités

Il y a des projets qui se veulent bruyants, tape-à-l’œil, bâtis sur des egotrips infinis. Et puis il y a Nos Réalités, la première carte sonore signée Keman, une fresque épurée mais profonde, née dans l’ombre du 92i mais portée par une sincérité rare. Dans cet EP court mais dense, Keman ne cherche pas à séduire, il cherche à dire. À dire ce que beaucoup n’exprime pas : la lucidité brutale d’une jeunesse consciente, parfois résignée, mais jamais sans voix.

Un héritier silencieux du 92i ?

Repéré par Booba, mentor autant que vigie du rap hexagonal, Keman ne tombe pas dans la facilité d’un suiveur. Là où on aurait pu s’attendre à une copie froide de son aîné, le jeune rappeur trace une ligne droite entre introspection et constat social. Le featuring “Autoroute du Soleil” avec Booba ne sonne pas comme un parrainage ostentatoire, mais comme un relais entre générations : le Duc valide un témoin, pas un clone. Loin d’un projet tape-à-l’œil, Nos Réalités propose une lecture dépouillée mais puissante de ce que signifie grandir aujourd’hui entre béton et pression sociale. On y retrouve :

Un équilibre entre émotion et technique : Keman n’est pas un poète maudit ni un technicien froid. Il est entre les deux, et c’est cette zone grise qui fait sa force.

Des récits personnels : Keman n’exagère rien. Il rappe avec retenue, mais chaque mot tombe juste. Pas besoin de clichés surarmés ou de storytelling gonflé à la testostérone.

Une mélancolie maîtrisée : les prods, souvent planantes ou minimalistes, laissent respirer le texte. Un choix artistique fort dans un paysage saturé de BPM compressés.

Nos Réalités, morceau central et miroir du projet, donne le ton : “On n’a pas grandi dans le chaos, mais dans l’indifférence.” Une phrase qui pourrait résumer tout l’univers du rappeur. Il ne cherche pas la pitié, il tend un miroir. Et ce miroir, il le braque autant sur lui que sur nous. En seulement 5 titres, Keman choisit la concision, comme s’il savait que le trop-plein de mots diluerait son message. À l’image d’un teaser musical, cet EP n’annonce pas la fin d’un parcours, mais sa vraie naissance. Il pose des jalons, pas des conclusions. Et ce choix de format resserré n’est pas un manque, mais une démonstration de confiance : celle de pouvoir marquer sans bavarder. Keman, avec Nos Réalités, ne crie pas plus fort que les autres. Il parle plus juste. C’est cette justesse émotionnelle, technique, humaine qui rend son entrée remarquée, et remarquable. Il ne promet pas le feu, il dresse l’inventaire des braises. Et à l’heure où beaucoup confondent style et vacarme, ce genre de projet fait du bien au rap francophone.