Accueil Musique Album CLIPSE – Let God Sort Em Out Seize ans après leur dernier album, les frères de Virginia Beach, Pusha T et Malice, désormais revenu sous son nom originel No Malice, réapparaissent comme deux figures fantomatiques surgissant de leur propre légende. Let God Sort Em Out, leur nouvel album, n’est pas une reformation nostalgique, c’est une profession de foi, brutale, esthétique, et terriblement contemporaine. Dès les premières notes, le ton est donné, “Que Dieu fasse le tri”. Une déclaration à double tranchant, entre humilité devant l’au-delà et assurance totale dans la justice de leur art. Car ici, Clipse ne cherche ni à plaire ni à choquer, ils livrent une parole tranchante, mi-spirituelle mi-cartésienne, comme deux anciens soldats revenus de la guerre avec des cicatrices mais une plume plus affûtée que jamais. L’album se déploie comme un sermon de rue, entre confessions d’anciens dealers et réflexions métaphysiques. No Malice, apaisé mais toujours charismatique, incarne la voix du repentir lucide, Pusha T, lui, reste l’esthète du crime parfaitement assumé, mais moins pour glorifier que pour transmettre. Le contraste est saisissant, mais c’est ce qui rend leur alchimie encore plus puissante. Tout l’album est produit par Pharrell Williams, mais sans Chad Hugo, une sorte de Neptunes réinventé, plus sobre, plus expérimental. Les instrumentales y sont cinématographiques, parfois discordantes, parfois même silencieuses, comme pour laisser les vers respirer, s’imposer. On passe de textures électroniques tendues (sur “Chains & Whips”, featuring Kendrick Lamar) à des boucles soul fantomatiques (“Ace Trumpets”) ou encore à des beats industriels et sombres qui rappellent l’âge d’or de Hell Hath No Fury. Pharrell offre un écrin à leurs visions, ni tape-à-l’œil, ni rétro, mais hors du temps, comme un message codé. Ce n’est pas un album à écouter passivement. Chaque morceau est une page arrachée à un manuscrit intérieur. Sur “Inglorious Bastards”, Clipse se dédouble, entre l’Amérique, l’Afrique, et une foi qui balaye tout. Sur “Let God Sort ’Em Out”, le morceau éponyme, No Malice pose peut-être le couplet le plus grave de sa carrière, une réflexion sur le jugement dernier, la vanité, et les conséquences irréversibles de nos choix. C’est un album sans refrains faciles, sans singles pensés pour la radio. Il exige. Il secoue. La liste d’invités n’est pas un exercice de style, elle participe au récit. Kendrick Lamar livre un couplet au vitriol, refusé par Def Jam (ce qui a mené à la rupture du label avec Clipse). Tyler, The Creator apparaît comme un héritier assumé, presque silencieux, mais respectueux. Nas, John Legend, Stove God Cooks ou encore The-Dream sont convoqués comme des témoins d’époque, pas comme des accessoires. Let God Sort ’Em Out n’est pas qu’un album de rap. C’est une relique contemporaine, un livre sacré profane, une prière en rimes adressée à ceux qui ont survécu à leur époque. Clipse ne cherchent pas à faire un comeback, ils cherchent à graver une stèle, à sceller une époque, à prouver que le temps ne tue pas la vérité. Ce n’est pas l’album que tout le monde attendait. C’est celui qu’on devait recevoir.